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Le sultan galant et La sultane favorite

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Ces deux tableaux orientalisants ne manquent pas de sensualité, mettant à chaque fois en scène une femme blonde bien en chair et plutôt lascive, chaussée de bottillons. Dans les deux œuvres, l'autre protagoniste est un oriental moustachu, coiffé d'un turban et plein d'ardeur. « La sultane favorite » a le sein droit dévoilé, tandis que dans l'autre scène elle ne révèle rien de ses charmes, l'homme étant lui-même plus habillé. Cette représentation pourrait être celle de préliminaires amoureux. Quelques éléments du décor ajoutent une touche d'exotisme un peu cliché à cette scène : un éventail, un banjo, un sabre courbe et une longue pipe. Dans « Le sultan galant » il y a aussi, sur la table et au pied de celle-ci, des fleurs blanches détachées du bouquet. Une fleur blanche pouvant être symbole de virginité, celles-ci, sans tige et sans eau, semblent mourantes.

Le Sultant galant
(avant restauration)

Ce n'est qu'à la faveur d'une restauration, entamée fin 1999, que les deux toiles se sont révélées ainsi. Auparavant, elles se présentaient différemment.

La blonde était brune, son teint basané, le sein dévoilé était couvert, les pieds chaussés de bas blancs et de pantoufles rouges, tandis que le sultan galant ne lui passait pas la main dans les cheveux. Voilà pour l'essentiel, outre quelques détails. La restauration nécessitait notamment le nettoyage de la surface peinte et le remplacement du vernis. C'est donc en procédant que la restauratrice, Abigaïl Vandenheuvel, a découvert que l'on avait ajouté des surpeints pudiques et trompeurs, probablement au 19e siècle, transformant en orientale notre blonde à la peau claire. Ce n'est pas, loin de là, un fait unique dans l'histoire de l'art. Par exemple, la chapelle Sixtine de Michel Ange fut elle aussi victime de surpeints.

La Sultane favorite
(avant restauration)

Depuis le début du 18e siècle, une série d'images de l'Orient sont véhiculées en Occident. L'Orient y apparaît comme la contrée exotique des califes et des vizirs, mais aussi comme celle de l'érotisme, de la violence et, d'une certaine manière, de la poésie. L'Orient alimente les fantasmes... En effet, hormis les denrées rares et précieuses qui s'acheminent vers l'Occident, on connaît peu de chose de ce monde lointain et mystérieux, si ce ne sont les ambassades fastueuses du Shah de Perse ou du Grand Turc. En 1721 et 1742, deux visites d'ambassadeurs turcs à Paris déclenchent un immense phénomène de mode, qui touche tous les domaines artistiques dont la littérature, l'opéra et, bien sûr, la peinture.

C'est à la fin du mois d'août 1945 que la Ville de Namur a reçu, pour le Musée, ces deux toiles en legs de la Baronne Lemonnier – Mineur. D'autres pièces de choix du 18e siècle, tant en peinture qu'en mobilier, en arts décoratifs ou en sculpture, complètent cet apport. Parmi elles, un salon Louis XVI en bois sculpté doré à la feuille et rehaussé de tapisseries de Beauvais évoquant des fables de La Fontaine. Les deux toiles qui nous occupent y étaient répertoriées comme étant de la main d'Étienne Jeaurat, et la présence d'une signature poussait à le croire. En fait il n'en est rien, les deux originaux ont été reproduits en gravure par Louis Michel Halbou (1730 – 1809).

L'auteur anonyme de nos deux tableaux semble certes avoir bien rendu les originaux dans leur ensemble, mais on peut, il est vrai, déceler une pointe de maladresse dans le rendu des mains, que l'on perçoit plus délicates dans les gravures (merci à Madame Claudon, spécialiste de Jeaurat, pour les deux clichés). Mais qui était Jeaurat ?

Né à Vermenton, près d'Auxerre, le 9 février 1699, il fut orphelin très jeune. Son frère Edme (1688-1738), graveur, le confia à son ami le peintre Nicolas Vleughels (1668-1737), lui-même ami d'Antoine Watteau (1684-1721), le peintre des fêtes galantes (il figure dans tous les bons dictionnaires). Nommé directeur de l'Académie de France à Rome en 1724, Vleughels y emmène son protégé pour quelque temps. Etienne Jeaurat fut reçu académicien en 1733. Il exposa pour la première fois au Louvre (qui n'était pas encore un musée, mais un palais) en 1737, à l'occasion du Salon des artistes. Il y figura régulièrement jusqu'en 1769.

A part celui de directeur, Jeaurat occupa tous les postes à l'Académie, d'adjoint à professeur (1737) à chancelier (1781). Entretemps, déjà peintre du roi, il devint garde des tableaux de celui-ci à Versailles en 1767. Son succès fut très grand. Il s'adonna à la peinture d'histoire, aux sujets mythologiques, aux scènes de genre, au portrait, mais c'est comme peintre de mœurs qu'il est paraît-il le plus intéressant. Il excella dans la représentation des scènes de rues parisiennes (La Conduite des filles de joie à la Salpétrière, lorsqu'elles passent par la Porte St-Bernard, L'Enlèvement de police, etc.). Il travailla également pour des établissements religieux (Chartreux en méditation, Paris, église St-Bernard-de-la-Chapelle). Il eut pour élève son neveu Nicolas-Henri Jeaurat de Bertry (1728-après 1796). Bon vivant, il s'éteignit à Versailles le 14 décembre 1789, à l'âge de presque 91 ans.

Jeaurat ne s'est jamais rendu en Orient ou en Afrique du Nord. Il s'agit ici de deux œuvres orientalisantes. Elles ne sont pas orientalistes, ce terme n'apparaissant d'ailleurs qu'après la campagne d'Egypte de Bonaparte (1798-99). L'orientalisme n'a que faire de colifichets exotiques, il cherche à réellement représenter un monde autre et spécifique comme dans les œuvres d'Eugène Delacroix, par exemple, après son voyage au Maroc et en Algérie. Jeaurat, par contre, a imaginé ces deux scènes, il les a rêvées.

Thierry Oger

Bibliographie :

BENEZIT , E . : Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays ..., Paris, Gründ, 1999 (nouvelle édition)

NERAUDAU, J.-P. : Dictionnaire d'histoire de l'art, Paris, P.U.F., 1985

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